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Politique

Roger Scruton : une démocratie sans frontières voue le projet libéral à l’échec

C’est ce qu’affirme le philosophe britannique conservateur dans Le Monde du 20 janvier 2017.

« Aux mains de gens instruits et cosmopolites, pour une très large part, les médias n’ont pas de sympathie, dans l’ensemble, pour ceux qui paient le coût réel des politiques libérales - ceux qui " perdent leur pays " face à des forces mondiales qui dépendent de la protection d’Etats centralisés.

Aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, les médias et les hommes politiques ont chassé de leur esprit, et même ouvertement dénigré, les classes populaires. On a rejeté ou passé sous silence toutes les tentatives pour faire entendre leurs inquiétudes quant à l’immigration et à l’impact sur leurs vies de la mondialisation et de la propagation des conceptions libérales du sexe, du mariage et de la famille. De fait, on a grossièrement et inconsidérément blâmé et insulté ces gens coupés de leur ancienne façon de vivre sans qu’ils en aient retrouvé une autre. Pour l’élite libérale, les classes populaires déshéritées sont racistes, sexistes, xénophobes, homophobes, islamophobes. (...)

Certaines occasions nécessitent l’appel direct au peuple. Ce fut le cas en Grande-Bretagne, lorsqu’on nous a demandé si nous souhaitions rester dans l’Union européenne. La question avait cessé d’en être une pour les hommes politiques ou les experts, qui l’avaient systématiquement évitée. La classe politique avait renoncé à toute tentative de contrôler l’immigration massive depuis l’Europe de l’Est vers notre pays déjà surpeuplé - une immigration qui a causé une crise du logement, du système de santé et de l’environnement, de même qu’un changement radical de l’aspect de nos villes et de la composition de nos écoles. De même, elle avait abandonné toute tentative de soutenir la juridiction du droit commun anglais face aux jugements de plus en plus irresponsables des cours européennes.

Résultat, la question de l’identité se retrouva au premier plan des esprits : qui sommes-nous ? Quel est le lien qui nous unit ? Qui gouverne ? Sommes-nous unis par un processus européen qui implique l’extinction rapide de notre identité nationale et de nos institutions souveraines ? Ou sommes-nous toujours liés par nos coutumes, notre héritage politique et notre terre ? Ce sont des questions réelles. (...) Elles concernent la première personne du pluriel, le " nous " sur lequel la démocratie se fonde. (...)

Il est vrai que la stabilité d’un pays dépend dans une large mesure de la croissance économique. Mais celle-ci dépend aussi de la confiance sociale - le sentiment que nous avons des choses en commun et que nous nous soutiendrons les uns les autres dans l’urgence. La confiance sociale provient d’un langage partagé, de coutumes partagées, de voisinages partagés, d’un respect des lois instinctif, de procédures permettant de résoudre les conflits et les torts, d’un esprit public et de la capacité des hommes à changer leur propre gouvernement par un processus qui leur est transparent.

Les élites urbaines renforcent leur confiance mutuelle par (...) une coopération par-delà les frontières. (...) Comme les aristocrates de l’ancien temps, elles forment leurs réseaux sans référence aux frontières nationales. Dans l’ensemble, elles ne dépendent pas d’un lieu particulier, d’une foi particulière ou d’une routine particulière pour assurer leur sentiment d’appartenance. (...)

Cependant, cette élite urbaine dépend de ceux qui n’y appartiennent pas : les fermiers, les producteurs, les tailleurs, les mécaniciens, les soldats et les gérants d’entreprises, pour qui l’attachement à un lieu et à ses coutumes est implicite dans tout ce qu’ils font. Il n’est sans doute pas difficile d’imaginer que, confrontées à une question identitaire, ces personnes voteront très probablement d’une façon différente de l’élite urbaine, même si elles dépendent de celle-ci pour la direction du pays.

On peut observer exactement le même conflit aux Etats-Unis, entre les élites des villes côtières, dont les visages sont tournés vers le monde, et les travailleurs des villes de l’arrière-pays, pour qui l’Amérique est une terre et un enracinement qui sont leurs par leur droit d’héritage.

Aux Etats-Unis comme en Europe, par conséquent, les gens du cru se trouvent accusés par l’élite de toute une gamme de crimes postmodernes, du racisme à l’islamophobie. Mais leur réponse est de rappeler à l’élite l’existence d’une première personne du pluriel.

Une première personne du pluriel inclusive est le résidu d’une coopération et d’une confiance construites sur plusieurs générations. Les concepteurs et les guides du projet européen ont essayé de créer une première personne du pluriel par des stratagèmes et des subventions, tout en supprimant les loyautés nationales du peuple européen. Mais c’est la nation, la patrie et sa culture commune qui définissent la véritable identité européenne.

Je suis stupéfait que tant de gens n’arrivent pas à comprendre que la démocratie et l’identité nationale dépendent en définitive l’une de l’autre. Si le projet libéral requiert que nous niions cette vérité et imaginions une démocratie sans frontières et un gouvernement mondial sans souveraineté nationale, alors le projet libéral est voué à l’échec. »


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